Des molards et du mépris

On continue encore et toujours à détester la police. On prend le cortège au vol pour se rendre compte sur Alsace-Lorraine que des K-Way noirs semblent être de retour dans le défilé. Les slogans qui résonnent ne trompent pas, eux qui avaient plus ou moins disparu du cortège ces derniers temps. Du coup, ça remet un peu de peps dans la manif. Pour une fois, le défilé laisse Primark tranquille et remonte en direction de la rue Bayard pour une tentative de redite de la semaine dernière lorsque la gare avait été envahie. Mais au bout de la rue, les forces de répression attendent comme des toutous, bloquant l’accès à Matabiau. L’épreuve de force débute et, au bout de la deuxième sommation les flics balancent les gaz rue Bayard. Une partie du cortège tente une sortie rue Agathoise, très rapidement arrosée de lacrymo.

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Travaille, consomme et ferme ta gueule

Accuser les gilets jaunes de la faillite d’une palanquée de commerces toulousains c’est occulter les effets d’une crise qui ne date pas du mois de novembre mais de quelques années en arrière. En 2018, rien que dans ma rue, au moins une demi-douzaine de boutiques avaient mis la clef sous la porte en raison d’une augmentation des loyers qui empechait tout ce beau monde de faire perdurer leur activité. Evidemment, c’est plus simple et plus efficace d’accuser le mouvement de tous les maux que de le rejoindre. Surtout que, même voué aux gémonies, il aura quand même permis aux commerçants de faire enfin valider leurs vieilles revendications poujadistes – les fameuses exonérations de charges – auprès d’un Moudenc qui n’en demandait pas tant, bien aidé en cela par un gouvernement plus enclin à semer la division qu’à porter assistance aux prolos.

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Ce qu’on n’attendait plus # 14

La semaine dernière, la pluie avait calmé les ardeurs. Le soleil de ce samedi les aura ravivées. La météo mais aussi la toute fraîche adoption de la loi anti-casseurs qui fait entrer la sacro-sainte République française dans le cercle assez poreux des nations à forte teneur autoritaire.

Les Gilets jaunes se devaient d’être là pour notamment montrer qu’aucune loi ne les empêcherait de fouler le pavé et de contester l’inique qui caractérise la politique du gouvernement de Macron depuis plus d’un an. Du coup, la répression a commencé très tôt dans la matinée. Les allées Jean-Jaurès sont déjà empuanties de lacrymo balancée par les condés aux alentours de midi. Nassé avant le croisement, le cortège s’était fait disperser dans les environs de Belfort et de Saint-Aubin. Lorsqu’on rejoint la troupe à Alsace-Lorraine, ça a déjà pété à Jeanne d’Arc. L’objectif est clair : cantonner les manifestants sur les boulevards et bloquer l’accès au centre. Mais la dispersion provoquée a ouvert plusieurs fronts que les forces de répression peinent à maîtriser.

Sur Alsace-Lorraine, le gazage est massif. Une partie du cortège reflue vers Victor-Hugo en attendant de trouver une porte de sortie. L’accès direct vers Jeanne d’Arc est bloqué mais un contournement nous permet d’atteindre la foule amassée sur la place devant la statue remise en place par la mairie dans la semaine. On se fait face avec les flics. A l’entrée de Bellegarde, une fumée noire s’élève. De là où je suis je ne vois pas ce qui brûle mais ça a l’air sérieux. On repart vers Wilson où une importante partie des manifestants est massée sur les allées Roosevelt. L’ambiance y est bon enfant, une sono balance sa techno mais on sent que ça va être de courte durée. Les premières grenades volent dans tous les sens, sur la gueule des manifestants et des simples badauds. Mais on ne s’éloigne pas. Progressivement on réinvestit la place avant que les baqueux ne changent de tactique en effectuant une charge. Un premier temps les GJ battent en retraite avant de contre attaquer. Les CRS planqués derrière n’ont plus d’autre choix que de rebalancer les lacrymos.

On continue à jouer aux résistants et aux miliciens. La dispersion est effective dans tous les sens. En direction de Saint-Georges, on fait une petite halte pour appâter le bourgeois qui sirote son mojito à l’ombre des platanes. Un peu plus loin, on essaie de rejoindre la troupe sur les allées Verdier. Place Occitane, un CRS nous voit et nous intime, LBD en main, l’ordre de refluer de là d’où on vient. Les escaliers sont bloqués mais comme les condés n’ont pas l’air d’être du coin, on prend la petite rampe latérale qui nous propulse sur le boulevard Carnot où se joue un remake de la 7eme compagnie. Le canon à eau est tout de guingois, planté dans le terre-plein herbeux du boulevard, provoquant l’hilarité de tous. De part et d’autre, les agences immo n’ayant pas pris leur précaution ont pris la marée pendant que les poubelles et les sucettes de pubs offrent un nouveau design d’éclairage urbain.

A l’entrée de la Colombette, on reprend des gaz. La BAC allume toute la rue avec ses merdes, obligeant certains à se réfugier dans les cours d’immeuble, pas toujours friendly. Pendant ce temps ça s’organise sur le boulevard Carnot. Une poubelle prend feu en travers de la route pendant que certains entament une danse du feu. On s’échappe rue Castellane avant d’être gazé par la BAC.

On en est encore à cracher nos poumons que, déjà, les échos parlent de victimes de flash ball par dizaines et d’une quarantaine d’arrestations [1].

P.-S.

Merci à Seb pour les photos.

[1] On parle également d’une main arrachée mais l’info n’a pu être vérifiée.

Elections européennes et Gilets jaunes : et maintenant, le boycott ?

Cinq mois de mobilisation dans la rue, des blocages, une personne décédée, des blessé.e.s, des incarcéré.e.s à la pelle, tout ça pour tomber dans le légalisme électoral dès qu’un scrutin pointe le bout de son nez ? La manière d’appréhender les prochaines élections européennes sera un révélateur du potentiel offensif qu’a offert le mouvement des gilets jaunes depuis ses débuts. Plus que pour le gouvernement, cette échéance est un tournant pour la mobilisation qui recherche un second souffle même si elle reste importante et sa motivation, intacte. Opposée au mutisme de gouvernants qui, face à tout ça, n’ont qu’une réponse répressive à apporter, couplée à une intransigeance judiciaire aux jugements iniques et totalement disproportionnés, le risque est grand de voir les GJ s’engouffrer dans une voie sinon plus légaliste, du moins plus traditionnelle qui laisserait obligatoirement des traces et signerait probablement son arrêt de mort.

D’un côté l’objectif est, bien évidemment, d’essayer de rallier les indécis. Certains ne sont pas encore prêts à battre le pavé et réclamer leur dû dans la rue. Il est également d’offrir une vitrine plus consensuelle à un mouvement raillé, accusé d’être une auberge espagnole au niveau idéologique, généralement méprisé par les intellos des plateaux télévisés en mal d’argument. Boudé par les médias et, dans le même temps, incité en sous-main par ces derniers à trouver une figure plus mainstream, la tentation est forte justement de laisser la parole à ceux qui peuvent la porter ailleurs que dans la rue. De Boulot à Rodrigues, les exemples foisonnent. Face aux incessantes critiques d’une classe renvoyant le prolétariat en colère à clarifier ses revendications non pas pour l’écouter mais surtout pour gagner du temps et par mépris de classe, les GJ se retrouvent à choisir entre poursuivre sur la voie insurrectionnelle et s’acheter une conduite pour entrer dans le moule prévu pour les mouvements contestataires, à savoir celui de la représentation, avec les résultats que l’on sait (cf. Podemos en Espagne).

Toutefois, en ayant fait du rejet de la représentativité un de ses chevaux de bataille, l’orientation dans une voie légaliste pourrait faire prendre au mouvement le risque d’une division fatale annihilant la menace qu’il a été pendant tous ces mois et le résultat au point de vue constitutionnel pourrait être bien maigre. Déjà les Cauchy, Benedetti et autres affidés d’extrême droite sont prêts à récolter les fruits d’une colère opportune de laquelle ils se sont fait mettre dehors avec perte et fracas. Et c’est surtout ce que semble attendre avec impatience le gouvernement qui pourrait rejouer le coup du front républicain qui l’a porté aux affaires en 2017. En n’offrant aux Gilets jaunes que leur silence et ce, bien après la fin du fameux grand débat, Macron et sa bande tentent effectivement de forcer tout le monde à prendre la direction des urnes avec comme enjeu une « relégimisation » à moindre coût (sans dissolution de l’Assemblée nationale, par exemple). Une victoire aux européennes conforterait son action, tandis qu’une défaite serait exploitée commune une défiance à l’égard de l’Europe et non pas comme la conséquence d’une politique nationale désastreuse. Rien de nouveau dans la rhétorique politicienne car c’est le discours habituel des gouvernants après une veste aux élections intermédiaires depuis vingt ans. Sachant cela, on comprendrait donc difficilement que le mouvement accepte le jeu électoral d’une classe politique contre laquelle il se bat depuis le début. Tout cela réduirait à néant ces efforts et ouvrirait la porte à un véritable massacre social.

 

La double lame en marche

On aurait pu croire que la violence des événements derniers occasionnerait sinon un peu d’empathie chez les parlementaires, du moins l’envie de ne pas ajouter d’huile sur le feu. Mais on est toujours surpris par leur capacité d’adaptation. Dans la foulée de l’escalade répréssive de samedi dernier, Arnaud Viala (député de l’Aveyron, Maire de Vézins de Lévezou et conseiller au rectorat de Toulouse) en a profité pour proposer le 20 mars dernier un projet de loi visant à supprimer le revenu de solidarité active (RSA) aux personnes ayant participé à un attroupement.

« Il faut priver du revenu de solidarité active (RSA), prévu à l’article L. 262-1 du code de l’action sociale et des familles, des « casseurs » qui en sont bénéficiaires, et ce, en raison de leur participation (armée ou non) à un attroupement, de leur participation armée à une manifestation ou réunion publique autorisée ou de la provocation directe à un attroupement armé ».

La double lame, donc, pour ceux ayant osé défier le gouvernement. Les parlementaires font dans la surenchère répressive pour museler toute velléité de contestation et inciter ceux qui sont en colère à rester chez eux sous peine de se voir privés des trois brouzoufs qui leur reste. Le projet n’a pas encore été soumis au vote mais, étant donné l’ambiance générale au sein de la majorité présidentielle qui a déjà acté une proposition de loi provenant de ces mêmes Républicains (loi anticasseurs), sa promulgation ne devrait pas poser trop de problème.

Ce qu’on n’attendait plus # 13

(Re)devenir une menace.

Les nerfs un peu à vif depuis l’attaque du cortège par les fafs la semaine dernière. Les jours précédant le rendez-vous de samedi ont été l’occasion de mises aux points, d’éclaircissement sur nos positions, sur ce qu’on voulait au sein du cortège, ce que l’on ne voulait surtout pas. Rien de mieux donc pour se resserrer autour de quelques chants pour réaffirmer tout ça, démontrer que nous sommes là et que l’extrême droite ne sera jamais la bienvenue. Quelques aventurier.e.s de cette extrême en feront les frais vers Alsace-Lorraine (la Dissidence française, aperçue un peu plus tôt le matin vers les Carmes) mais aussi boulevard de Strasbourg un peu plus tard. Ne pas faire de fixation mais être vigilant.e.s. Toujours.

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Ce qu’on n’attendait plus # 12

Nous n’avons pas créé la violence….Nous l’avons rencontrée*….

Réduire les affrontements entre antifas et fascistes à une simple bagarre de rue entre bandes rivales relève soit d’une incroyable mauvaise foi soit d’une cécité précoce. Il est tout de même hallucinant qu’après un siècle passé à subir les Salazar, Franco, Mussolini, Degrelle puis les nouveaux fascismes composés pêle-mêle des Haider, Orban, Berlusconi et consorts, il faille toujours justifier le combat antifasciste alors que c’est l’affaire de tous et pas uniquement celui de celleux qui en font leur cheval de bataille.

Le mouvement des gilets jaunes est un combat politique au sens brut du terme, celui de gens qui se réapproprient le terrain de la rue, le terrain de l’expression publique sans avoir fait l’ENA ou Sciences-Po. Dire de lui que c’est un mouvement apolitique est tout sauf une réalité. N’en déplaise à certains, les gilets jaunes sont en train de se réappropier la politique dans des agoras où chaque jour sont redéfinis les moyens d’expression ainsi que les moyens d’action puisque la République n’offre plus la possibilité de le faire en dehors d’un suffrage moribond qui ne sert qu’à renouveler les élites bourgeoises et que, justement, les mouvances d’extrême droite confortent, jouant à fond leur rôle d’épouvantail.

Que le mouvement soit apartisan, en revanche, c’est certain. A l’écart des centrales de partis totalement prises au dépourvu et étouffées par une contestation à tel point qu’aucune d’entre elles n’osent se manifester pour tenter une récupération sous peine d’un retour de flamme qui s’avèrerait catastrophique, le mouvement se créé sa propre identité politique que l’appel de Commercy a tenté d’illustrer. Et là dedans, aucune référence à ce que pourraient revendiquer les fascistes. Penser qu’une personne développant des idées homophobes, autoritaires, racistes ou sexistes peut se diluer dans un mouvement qui (doit) revendique(r) le contraire, sous prétexte que ce dernier doit embrasser toutes les composantes de la société se trouve démenti tous les samedis par les assauts des milices d’extrême droite qui surgissent ponctuellement dans les cortèges démontrant par-là même leur volonté de ne pas y adhérer. Comment peut-on alors souhaiter établir un projet de société avec des pèlerins pareils ?

Quoi qu’on en dise, en refusant les modes de communication habituels, du moins ceux offerts par la démocratie représentative, les Gilets jaunes ont, ni plus ni moins, choisi la voie de l’insurrection : pas de représentant, blocage économique, occupation de l’espace public, vote à main-levée, démocratie directe, manifestations non-déclarées, tout ce qu’abhorrent les fascistes avec leur soif d’autoritarisme, de défilés au pas de l’oie et d’envie de race blanche. Et, inévitablement, en créant leurs conditions d’expression en dehors des clous, ils s’exposent à la violence de l’Etat qui a compris le danger de la non représentativité mais aussi à celle des identitaires en tout genre qui n’en veulent pas non plus. Contre ça, il n’y a aucune garantie à chercher dans les institutions, encore moins dans une justice qui a décidé de battre le record mondial de jugements lapidaires. En clair, il n’y a rien à attendre de structures contre lesquelles il faut se battre tous les jours. La seule alternative est la riposte.

* Tag aperçu début février, boulevard d’Arcole.

Soutien aux prisonniers

La Défense Collective a mis en ligne une page spéciale pour soutenir les prisonniers incarcérés à Seysses suite aux dernières édition des Gilets Jaunes. Tous les détails au bout de ce lien.