Ce qu’on n’attendait plus # 11

Le message derrière la cible.

Avec leurs vitrines parées de planches de bois, les banques n’ont jamais été aussi séduisantes. En deux mois, elles sont devenues les dazibao de la révolte populaire, sur lesquels chacun laisse son message et agrémente de haikus urbains ce qui n’est déjà plus une jacquerie.

C’est désormais officiel : les samedis sont devenus les rendez-vous de l’émeute et personne ne semble s’imaginer être ailleurs. A la forte décompression que l’on nous prédisait avant les fêtes succède une mobilisation toujours croissante et un enthousiasme encore plus débordant à Toulouse depuis que Jean-Luc Moudenc, maire de la ville, a décidé de donner son avis sur la question. Cela a commencé par une immersion de 10 mn au coeur des casseurs durant laquelle il a dressé le constat d’une communion des « extrêmes », mettant à mal des décennies de recherche sociologique sur le sujet. Il a continué en cédant aux demandes de son grand ami Bouscatel (le fils de l’ancien président du Stade toulousain) pour exonérer de charges les commerçants sur le dos des Gilets jaunes. Paternaliste, il a tout de même fait un geste envers ces derniers en leur offrant une salle municipale pour se réunir au lieu de déambuler dans les rues le samedi, et demandé à ce que les manifs soient le dimanche pour ne pas freiner l’activité économique. En gros, allez jouer dans la chambre pendant que les grandes personnes travaillent.

L’exemple de Moudenc n’est pas unique. Il illustre bien l’impasse dans laquelle se trouvent les édiles politiques pour régler une affaire dont chaque samedi nous révèle une ampleur insoupçonnée, usant de tous les moyens légaux et illégaux pour y parvenir. Après la répression féroce qui s’exerce tous les week-ends, la boucherie judiciaire qui lui succède, il ne manquait plus que celui de la division avec la création d’une liste GJ aux Européennes. Et tant pis si, à sa tête, on trouve une macronienne qui noyautera le mouvement et l’esprit à la première occasion. Plus c’est gros, plus ça devrait passer, ceci sans même parler du téléguidage d’une manifestation pro-gouvernementale qui a du recevoir l’aide inconditionnelle des médias pour gonfler les chiffres d’une faible mobilisation.

Sauf que, jusqu’à maintenant, rien n’a vraiment marché comme il faut. Tous les stratagèmes utilisés n’ont pas fonctionné même s’ils alimentent toujours les discussions au sein des assemblées pour remettre en question les bases revendicatives du mouvement. A la différence d’avant, peu de personnes semblent se laisser enfumer par les discours d’un monde politique et médiatique qui est en train de payer des décennies de mépris et d’insolence, d’absence de justice sociale se muant en brusque empathie lorsque, bizarrement, surviennent les échéances électorales. En niant au mouvement des gilets jaunes la présence d’une véritable conscience politique, de véritables revendications, les élu.e.s sont en train de creuser un abîme de plus en plus infranchissable entre eux/elles et les gens du « peuple ». Parallèlement ces dernier.e.s sont en train de redéfinir un horizon politique à l’intérieur duquel les premier.e.s n’apparaîssent plus. Et c’est ça qui emmerde le pouvoir. Libres à ceux/celles ne voulant pas voir le message derrière la cible. Les Gilets jaunes semblent savoir ce qu’ils veulent et, au coeur du mouvement, personne à l’heure actuelle ne peut s’imaginer que tout redevienne comme avant. Si ventre affamé n’a pas d’oreille, ventre affamé n’a plus grand-chose à perdre et beaucoup à gagner.