Travaille, consomme et ferme ta gueule

Accuser les gilets jaunes de la faillite d’une palanquée de commerces toulousains c’est occulter les effets d’une crise qui ne date pas du mois de novembre mais de quelques années en arrière. En 2018, rien que dans ma rue, au moins une demi-douzaine de boutiques avaient mis la clef sous la porte en raison d’une augmentation des loyers qui empechait tout ce beau monde de faire perdurer leur activité. Evidemment, c’est plus simple et plus efficace d’accuser le mouvement de tous les maux que de le rejoindre. Surtout que, même voué aux gémonies, il aura quand même permis aux commerçants de faire enfin valider leurs vieilles revendications poujadistes – les fameuses exonérations de charges – auprès d’un Moudenc qui n’en demandait pas tant, bien aidé en cela par un gouvernement plus enclin à semer la division qu’à porter assistance aux prolos.

Pour Moudenc, une ville qui vit est une ville qui consomme. Rien d’étonnant donc à ce que surgisse l’inquiétude chez les édiles dès que les gens ne s’arrêtent plus devant les vitrines pour les regarder mais s’en servent pour y écrire des messages à  leur intention. Quand on a le nez dans le guidon, on n’y fait pas spécialement attention mais le vocabulaire employé en dit long de l’abîme dans lequel on est tombé. La marchandisation n’est pas un phénomène nouveau, elle fait partie de la société dans laquelle on évolue (volontairement ou involontairement) mais quand on réfléchit deux minutes sur les termes que l’on a l’habitude d’entendre, difficile de ne pas voir que quelque chose a réellement mal tourné.

Révélateur de cette marchandisation, le « manque à gagner » que s’évertuent à balancer à tout bout de champ les vieilles chouettes ultralibérales. L’expression résonne comme une évidence, une inéluctabilité stigmatisant encore plus les mouvements empêchant de consommer en rond, démontrant que la bonne santé du commerce ne doit plus être dépendante de la conjoncture et du contexte. C’est devenu une activité naturelle ayant lieu à jour et heure fixe, où femmes et hommes se retrouvent à occuper le rôle de producteur.e, acteur.e et consommateur.e au sein d’un cercle vertueux où chacun.e est responsable de l’autre, tout reposant sur l’adhésion à cette disposition et sur la culpabilité si l’un ou l’autre en sort. Mais les événements du mois de novembre 2018 ont rebattu certaines cartes que peu avaient dans leur jeu. Le mouvement des gilets jaunes a renvoyé l’activité à sa légitimité, les gens ayant retrouvé – contraints et forcés – une lucidité les incitant à s’interroger sur la réelle utilité de claquer wattmille % du salaire dans des merdouilles qui viendront encombrer les tiroirs de la maison sans qu’on sache trop pourquoi.

Symbole de cette lucidité, « Travaille, consomme et ferme ta gueule », slogan résonnant depuis quelques mois dans les manifs n’a jamais aussi bien illustré le cadre dans lequel les gouvernants voudraient nous voir évoluer à tout prix et démontre aussi que de moins en moins de personnes ne sont dupes. Peut-être faut-il voir dans cette apparente décélération économique – apparente parce que certaines études démontrent que c’est loin d’être le cas – un phénomène porté par les événements ou bien le début d’une réelle prise de conscience des dégâts vers lesquels nous entraîne cette consommation (écologiques, sociales notamment). Dans tous les cas, que ce soit une simple pause ou bien le début de quelque chose de plus durable, on ne peut qu’être gagnant.